Colette

              

Nos relations datent de 1905 ou 1906. Comment avais-je connu Willy ? Comment aurais-je pu ne pas le connaître ?
Il était l'un des hommes les plus connus de Paris.
C'était un homme d'assez d'esprit, d'un peu de talent, qui passait pour avoir une culture musicale étendue - mais l'habitude qu'il avait prise de faire faire « ses » livres et « ses » articles par ce qu'on appelait à l'époque déjà des nègres, cette habitude abominable rend toute appréciation difficile de sa valeur réelle. Ce que l'on sait, c'est qu'il choisissait avec discernement les écrivains besogneux dont il signait effrontément les ouvrages. On sait que Jean de Tinan, P.-J. Toulet, Cumonsky, entre autres, lui apportèrent leur concours, et je crois savoir que Vuillermoz faisait des articles de critique musicale sous le pseudonyme de « l'Ouvreuse du Cirque d'Été » adopté par Willy. On ne peut ignorer que Amour, Amour est de Pierre Veber ; paru sous le nom de Willy, il reparut sous les noms de Pierre Veber et Willy, pour devenir ouvertement ce qu'il était : de Pierre Veber - enfin, nous savons tous que les Claudine, parues sous le nom de Willy, étaient de Colette.
Elle avait fait Dialogues de bêtes pour « amuser » Willy car c'en est la dédicace.
Pour amuser Willy, elle avait fait un chef-d'œuvre !
La naissance, l'enfance, la prime jeunesse de Colette, tout cela nous est connu, conté, raconté par elle. Son mariage lui-même avec Gauthier-Villars, c'était Willy, elle ne nous en a pas fait grâce - fort heureusement - et dans l'hebdomadaire Marianne, il y a de cela une vingtaine d'années, elle nous a sinon tout dit, du moins tout fait comprendre.
Chronique révélatrice d'une union singulière entre une petite campagnarde hermétique, têtue, qui ne parvenait pas à se débarrasser de l'accent de son village et un homme sans moralité, pervers et méprisable au premier chef.
Lui devons-nous l'admirable écrivain qu'est devenue Colette ?
Un peu, peut-être - mais ce n'est pas bien sûr. Et des dons pareils n'eussent pas manqué de se manifester dans d'autres circonstances.

La première fois que je l'ai vue, Colette avait de longs cheveux blonds, si longs qu'elle les nattait et les portaient en macarons sur les oreilles.
Elle était bien charmante alors, avec son visage triangulaire, ses yeux en amande et son nez de fouine.
Ce que Colette a dû souffrir - dans les deux sens du terme - pour conserver Willy est inimaginable.
J'en ai été le témoin - et je m'y suis trouvé mêlé, bien malgré moi.
J'ai vu Willy cherchant à se débarrasser de Colette. Son désir était qu'on la lui prît. Et un jour que j'entrais chez lui vers 5 heures - un jour de réception - je le vis, le chapeau et la canne à la main. Je lui en demandai la raison. Il me répondit :
- Je fais cela pour faire croire que nous sommes séparés Colette et moi - et que je suis en visite chez elle.

Hier soir, vendredi 29 février 1952, nous avons dîné Lana et moi à l'Hôtel de Paris à Monte-Carlo, avec Maurice de Rothschild et la princesse d'Arenberg.
Colette était dans la salle.
Elle m'avait écrit huit jours auparavant. Je n'avais pas répondu à sa lettre. Je suis allé lui baiser la main. Et cinq minutes plus tard, elle se joignait à nous. Son mari, Maurice Goudeket, l'accompagnait.
Colette est immobilisée dans un fauteuil à roulettes. Les rhumatismes l'ont clouée là - du moins le dit-elle. Mais son mari, je me demande d'ailleurs pourquoi, m'a dit :
- Non ce qu'elle a, c'est de l'arthrite de la hanche.
Colette va avoir quatre-vingts ans. Elle en paraît bien davantage, en dépit - ou à cause - d'un maquillage excessif de ses yeux et de cette coiffure.
A vrai dire, elle ressemble à toutes les très vieilles femmes illustres - et son regard a je ne sais quoi qui rappelle un peu celui de Sarah Bernhardt.
Démaquillée, un fichu sur la tête, et consentant à perdre dix pouces de sa taille, ce n'est sans doute plus qu'une vieille paysanne bourguignonne rêveuse.

Sacha Guitry, PORTRAITS ET ANECDOTES