Production : C.C.F.C. (Édouard Harispuru) - Distribution : C.C.F.C.
Scénario original et dialogues : Sacha Guitry.
Réalisation : Sacha Guitry.
Collaboration à la réalisation : René Le Henaff.
Chef opérateur : Jean Bachelet.
Décors : Jacques Colombier.
Son : Louis Perrin. - Musiques : Adolphe Borchard.
Interprètes :
Sacha Guitry, Jean-Louis Barrault, Geneviève Guitry, Gaby Morlay, Jacques Varennes, Aimé Clariond,
Yvette Lebon, Lise Delamare, Noël Roquevert, Jean Périer, Georges Grey, Maurice Teynac, Jean Darcante,
Georges Spanelly, Jean Davy, Jeanne Fusier-Gir, Camille Fournier, Jean Hervé, Germaine Laugier,
Pierre Magnier, René Fauchois, Jacques Berthier.
Durée : 118 mn. Sortie : le 4 septembre 1942 aux cinémas Marivaux et Marbeuf - Paris.
L'histoire :
A Marseille, l'officier Bernadotte présente en 1789 un billet de logement à l'ingénieur Clary, il
fait ainsi la rencontre avec Désirée, une des filles de Clary. Cinq ans plus tard, Julie Clary
sera courtisée par Joseph Bonaparte, qui n'est pas indifférent au charme de Désirée. Il hésite
entre les deux jeunes femmes, aussi les présente à son frère ainé, Napoléon, afin qu'il le
conseille. Celui-ci décide que Julie convient mieux au caractère de Joseph, et jure son amour
perpétuel à Désirée. Mais bientôt il part pour Paris, où il rencontre Joséphine de Beauharnais...
Quelques réflexions de l'auteur :
La Censure allemande refusa tout d'abord le scénario de Désirée Clary.
Le manuscrit n'obtint le visa qu'à grand-peine - le Dr Dietrich déclarant que je « ternissais
la mémoire de l'Empereur ».
(De quoi je me mêle !)
Le film étant terminé, ce même Dr Dietrich m'obligea à retourner toute une scène. Motif : la
devise de l'Angleterre : « Honni soit qui mal y pense », y était mise en valeur trop
ostensiblement. C'était d'ailleurs exact - et je savais ce que je faisais.
Le film est annoncé, il doit « sortir » à telle date - et le Dr Dietrich prétend s'y opposer.
Motif : l'auteur a trahi l'histoire du fait que la reine de Suède demande au roi Louis-Philippe,
ce qui n'est pas prouvé, le retour des cendres de l'Empereur !
J'obtiens qu'un membre de la famille royale française veuille bien intervenir et donner son
assentiment à ce fait controuvé mais admissible en soi - et le visa de la Censure enfin m'est
accordé.
Et l'on prétend que je suis un collaborateur !
Sacha Guitry, Quatre ans d'occupations, Editions de l'Elan, 1947.
...e d'un producteur :
(...)
Ce qui frappe au premier contact, c'est la grande courtoisie dont sont empreintes ses paroles. Extrême politesse, rondeur des mots utilisés, phrases si aimablement tournées, qu'on se sent aussitôt attiré. Un physique pressant, des yeux bleus autoritaires qui vous regardent droit, des mains qui serrent loyalement les vôtres. Et puis une grande, très grande intelligence, qui vous rend admiratif.
Sur le plan des affaires - je parle des conventions liant un auteur à un producteur -
on est frappé par la volonté de détruire une légende : l'auteur le plus cher in
the world.
Il exige des clauses absolument imprévues : les maquettes des décors
seront soumises à son approbation, M. Sacha Guitry, ayant jusqu'à ce jour constaté
les proportions inutiles des décors et les sommes ainsi gaspillées... Avant la signature d'un
contrat ou après, le désir qu'il exprime d'une entente complète dans chacune des décisions
qui accompagnaient l'exécution d'un film.
Sur le plateau, cette courtoisie dont je parlais toute à l'heure est la même pour le producteur,
pour l'électricien, le machiniste ou les interprètes.
Sa mise è scène est ciselée. L'interprétation des acteurs est le constant souci de son
activité. Il « interprète » pour le « grand acteur » comme pour le « figurant ». C'est un mot dont il a horreur, d'ailleurs.
Il appelle ceux-ci MM. les Artistes, il appelle ceux-là Mes chers Camarades.
Il a bien « pigé » la technique à l'appareil de prises de vue, et il sait lui donner la place qui lui convient.(...)
Pendant les vingt-huit jours qu'ont duré les prises de vue des Neuf Célibataires, il n'est jamais arrivé après l'heure.
Entre chaque changement de plan, le cercle se formait autour de lui : ses anecdotes, les
souvenirs de ses entretiens avec les hommes les plus célèbres, sa grande érudition
- et tout le monde était dans la joie - . Mais, aussitôt la « lumière prête », le travail reprenait
instantanément, dans une atmosphère de confiance et d'affection.
Panégyrique, dites-vous ? c'est bien vrai. Et ne croyez pas que je suis encore sous le charme,
car Dieu sait les avertissements que j'ai reçu de mes prédécesseurs!
Il le savait d'ailleurs. Ne m'écrivait-il pas : Vous avez un groupe certain. Moi, mon groupe est
dans ma tête. Et cette tête, combien l'a-t-on visée? Il souffrait de toutes
les lâchetés dont il avait été victime, lâchetés qui visaient à dénigrer son
immense talent, lâchetés qui visaient sa vie privée.
Aussi, si sa joie a été immense d'être honoré d'un fauteuil à l'Académie
Goncourt, son plaisir a été extrême de dire à un grand poste d'émission se sentiments à l'égard de « certains » qui avaient abusé de leur situation dans la Presse.
Croyant d'avoir une expérience en matière de production, j'ai pensé écrire ces quelques lignes: la vérité étant toujours bonne à dire.
Edouard Harispuru, La Cinématographie Française, n. 1079 - 8 juillet 1939.
Critiques anciennes et récentes :
Le sujet choisi ne surprend pas de sa part. Il se rapproche d'une situation de vaudeville,
truffée d'anecdotes de la petite histoire. Il y a un trio : deux hommes et une femme. Il y a la
jalousie, le mensonge, la vengeance et la séduction, mais ce n'est pas un mari, un amant et une
infidèle. Ce sont : une femme qui a aimé un homme qui l'a abandonnée, un homme qui pardonne tout
à la femme qu'il a aimée et un homme qui a épousé cette femme et qui se heurte à celui qui l'a
aimée (qu'ils ont aimée) naguère. Comme le premier est Bonaparte et le second Bernadotte, cette
femme aurait dû devenir impératrice et elle sera reine de Suède.
Tous les ingrédients utiles pour une comédie, et c'est presque un drame. Guitry refuse de jouer
sur la fantaisie qui lui avait réussi pour Remontons les Champs-Elysées.
Il favorise la gravité. Il hausse le ton jusqu'au pathétique. Ici, Napoléon n'est pas plus
sympathique que Bonaparte. Il est émouvant parce qu'autour de lui, ce ne sont que complots,
ragots de famille et machinations propres à désordonner les situations politiques et privées,
d'abord à son avantage et ensuite contre lui, jusqu'à sa perte. C'est l'étalage de la grandeur
historique pervertie par la spéculation et la mesquinerie. Le pessimisme est absolu.
Si Guitry essaie d'injecter parfois dans ce drame intimiste quelques réflexions susceptibles
d'établir un parallèle entre cette histoire et l'actualité, il n'a plus la détermination
enthousiaste dont il faisait preuve en commentant Ceux de chez nous.
Il parle bien d'espoir, mais il laisse entendre qu'il faut surtout patienter dans l'attente de
quelque coup de théâtre politique. Sur ce point, le discours du père Clary est d'une transparence
glaciale :
« Quel que soit le destin qui vous est réservé, aimez par dessus tout la France. C'est le plus
beau pays du monde. Je reconnais aux étrangers le droit de penser que le leur est le plus beau de
tous - et même je le souhaite pour qu'ils n'aient pas l'idée de nous prendre le nôtre - mais
soyez convaincus que le plus beau pays du monde, c'est la France - et si jamais vous le voyez
dans le malheur, ne vous en effrayez pas plus qu’il ne le faut : relisez son histoire - elle s'en
tire toujours ».
Ces allusions voilées masquent mal le désarroi réel dans lequel il va piétiner, se tromper,
s'enfermer et s'exposer bien inutilement. (...)
Pourtant, Le Destin fabuleux de Désirée Clary est surtout un film de la déception et de la
tristesse. Le cinéaste y invente moins qu'à son habitude. Certes, il use toujours du procédé du
conteur et sa voix relie chaque fragment du récit avec son efficacité coutumière. Pour le reste,
c'est souvent sans surprises : mouvements de caméra divers et précis, champs, contre-champs
nombreux et répétitifs, montage et découpage justes et peu modernes, quelques idées baroques aux
limites de la gratuité comme la fréquence des plans avec reflet dans un miroir et peu de
théâtralisation. Guitry opte donc pour un classicisme qui n'a cependant rien d'académique.
Peut-être veut-il ainsi prouver que le cinéma français peut battre son rival allemand sur le
terrain des récits historiques...
Noël Simsolo, Cahiers du Cinéma, 1988.