LA MALIBRAN


              

Production : Société des Films Sirius.
Scénario et dialogues : Sacha Guitry.
Réalisation : Sacha Guitry.
Assistant réalisateur : René Delacroix
Directeur de la production : Marc Le Peletier
Chefs opérateurs : Féodoté Bourgassoff et Jean Bachelet.
Décors : Henri Ménessier et Dumesnil.
Musiques : Louis Beydts.
Montage : Alice Dumas - Assistante artistique : Jacqueline Labouriau

Interprètes :
Sacha Guitry, Geori-Boue, Suzy Prim, Mona Goya, Geneviève Guitry, Jacques Jansen, Jean Weber, Jean Debucourt, Mario Podestà, Louis Arnoult, Madeleine Sibille, Jeanne Fusier-Gir, Jacques Castelot, Robert Favart, Michel Marsay, André Carnège, Jean Chaduc, Henry Houry, Henri Chauvet, Solange Varenne, Jacques Butin, Renée Thorel, Marcel Levesque, Denis D'Inès, Jacques Varennes, Jean Cocteau.
Durée : 95 mn. Sortie : 3 mars 1944 au cinéma Le Biarritz et Le Français - Paris.

L'histoire :
Évocation de La Malibran, cantatrice célèbre et célèbrée par Musset. Sacha Guitry en résume ainsi l'existence:
"Espagnole, née à Paris, elle débute en Italie, poursuit sa carrière à Londres, épouse un français à New York, puis se marie avec un belge et meurt à Manchester. Elle sera née, elle aura vécu et elle sera morte en tournée."



Critiques anciennes et récentes :
Son nouveau film racontera la vie de la cantatrice Malibran et sera entièrement placé sous le signe de la mort. L'oeuvre est méconnue car on la montre rarement. C'est le seul film que Guitry ait fait sur la musique. Néanmoins, il y poursuit ses recherches sur la voix. La Malibran est un peu le pendant de Pasteur.
C'est une biographie en fragments, conçue sur le flash-back et l'amour de la scène. (...)
Guitry connaissait peu la musique. Il avait conçu des opérettes originales pour Yvonne Printemps. Avec ce film, il désigne combien la passion musicale est liée à la mort. Il rejoint la thématique des romantiques allemands, ceux-là mêmes que les nazis rejetaient après avoir tenté de les coloniser à leur culture directrice. Guitry contemple ici les éblouissements qui guidèrent une part de son adolescence. Conscient des stéréotypes attachés souvent aux biographies à costumes, il préfère filmer des idées en mettant l'anecdote en emblème. Il s'applique à éviter les touches de pittoresque. Il fuit la reconstitution naturaliste et réinstalle la rigueur d'une théàtralisation sans effets. Il renoue également avec la veine documentaire, indiquant à ceux qui l'ignorent ce que la musique demande de technique et de travail. Il débusque l'évidence d'une gravité. Il atteint le sublime sans l'outrer de fioritures et de suffisance. Et comme il aime le vrai, l'instant révélateur et la fragilité du beau, il impose aux producteurs le tournage en son synchrone des scènes de bel canto. La cantatrice Géori-Boué prend sa part du risque en transgressant les codes ordinaires du tournage en studio. Elle est admirable. Elle contribue à faire de La Malibran une ode aux allures d'oraison funèbre. Le film porte le deuil d'une époque révolue, mais aussi celui de la France.
Ces marques d'intelligence ne peuvent séduire la critique pro-allemande. Deux hommes se partagent les assassinats dans Je suis partout : Alain Laubreaux vomit sur le théâtre et accumule les délations. François Vinneuil le seconde en opérant une stratégie identique à propos du cinéma. Au moment de la sortie de La Malibran, il méprise :
" Sacha Guitry n'a pas de chance avec les sujets " d'art ". En six mois, la sculpture et la musique viennent de lui inspirer deux des spectacles les plus ennuyeux et les plus poncifs que l'on ait vus depuis longtemps sur des écrans français ".
Il faut savoir que Vinneuil est le pseudonyme de l'ignoble Lucien Rebatet, auteur de l'immonde « Les décombres ». Qu'un tel individu attaque ainsi Guitry, c'est formidable. C'est mieux qu'un compliment. C'est la confirmation du génie face à la crapulerie haïssable. Pour nous, La Malibran est un chef-d'oeuvre. Il faut le découvrir.
Le film sera projeté dans des stalags. Guitry se console des récents malheurs qui l'affligent. La censure lui a refusé le droit de représenter « Le dernier troubadour », une comédie musicale avec Géori-Boué et Charles Trénet. Le livret situait l'action sous le règne de Charles VIII dans la France occupée. La note d'interdiction indique : " Cela ferait trop plaisir aux gaullistes ".
Noël Simsolo, Cahiers du Cinéma, 1988