Extraits des dialogues du film LA POISON


Au presbytère - à l’intérieur et à l’extérieur simultanément. Le Curé (Albert Duvaleix) est assis et lit son bréviaire. Paul Braconnier (Michel Simon) apparaît dans l’encadrement de la fenêtre.

- Bonjour, Monsieur le Curé.
- Bonjour, mon bon ami. Comment cela va-t-il ?
Le Curé se lève et va à la fenêtre.
- Ça ne va pas fort.
- !
- Non.
- ?
- Je n’en peux plus de ma femme.
- Ah ! Ah !... Qu’est-ce que vous lui reprochez ?
- D’être là.
- Il ne fallait pas l’y mettre.
- Oh ! - ça, c’est mal répondu, Monsieur le Curé : souvenez-vous du jour où nous nous sommes mariés - et vous ne viendrez pas me dire que c’est la même femme !
- Dame, elle a trente ans de plus !
- Ce n’est pas seulement une question d’âge - on peut avoir cinquante-deux ans et ne pas être comme un tonneau.
- Est-ce que vous n’avez pas changé vous-même - soyez juste ?
- J’ai pris trente ans comme elle - je ne dis pas le contraire. Seulement, moi, je ne bois pas trois litres de vin par jour - je ne gueule pas du matin au soir comme elle le fait, je ne casse pas la vaisselle - et, pour tout dire, j’ai beau avoir cinquante-trois ans, je me lave toujours les pieds !
- Qu’entendez-vous par là ?
- Que je les mets dans l’eau et puis que je me les savonne.
- Ah ! Bon - je croyais que c’était une façon de parler.
- Non, non, du tout.
- Et... elle n’en fait donc pas autant ?
- Si - mais tous les deux mois. Et cependant elle voit bien que je me les lave chaque semaine - comme tout le monde.
- Ce n’est pas elle qui vient - là-bas ?
- Mais si, c’est elle. Regardez-moi ça, un vrai boudin.
Sortant de la mercerie, Blandine (Germaine Reuver) passe au loin.
Est-ce qu’elle va se confesser, de temps en temps ?
- Non, jamais.
- C’est dommage - vous auriez pu lui en dire deux mots.
- Ça, vous savez - un prêtre ne peut pas conseiller à ses ouailles de se laver les pieds.
- Non, non, bien entendu - mais, en dehors des pieds, est-ce que vous ne pourriez pas lui faire comprendre... heu...
- Quoi ? !
- Rien. Vous avez raison. Allez donc faire comprendre à une femme qu’elle est de trop - et qu’on voudrait la voir au diable!... Vous avez de l’imagination, Monsieur le Curé ?
- Peut-être, un peu.
- Bon. Et bien, tenez : vous êtes couché - et vous voyez arriver ça dans votre lit...
- Excusez-moi, mais j’ai moins d’imagination que vous ne le supposez.
- C’est entendu - mais, enfin, quoi : on est entre hommes tout de même - et vous me comprenez ?
- Oui, je vous comprends - mais je veux espérer que vous ne parlez pas de votre femme, comme vous venez de le faire, devant n’importe qui ?
- Oh ! Je m’en garde bien !... Il y a trop de mauvaises langues...
- Et s’il lui arrivait malheur un jour...
- On m’accuserait d’avoir fait le coup. Oh ! Mais j’y pense. Et si je me suis confié à vous, c’est que vous n’êtes justement pas n’importe qui. Et j’éprouvais un tel besoin de dire tout haut certaines choses - parce que j’ai remarqué que, quand on se parle à soi-même... on n’entend pas les mots qu’on se dit... alors on va tout de suite un peu trop loin - et c’est très dangereux, pour la bonne raison que les projets qu’on fait tout bas se réalisent pour ainsi dire sans aucune difficulté...
- je ne sais pas à quoi vous faites allusion, en ce moment - mais vous m’avez tout l’air de vous parler à vous-même... et d’aller justement trop loin.
(...)