Extraits des dialogues du film QUADRILLE


Philippe (Sacha Guitry) et Paulette (Jacqueline Delubac) se retrouvent au matin. C'est l'heure des explications:

(...)
- Tu avais là pourtant une belle occasion de tenir ta promesse.
- Ma promesse?
- Dame - il avait été convenu, n'est-ce pas, entre nous que le jour où tu serais lasse de moi, tu me préviendrais la veille.
- Je n'en ai pas eu le temps. Je ne pouvais pas te prévenir la veille, parce que je ne le connaissais pas. Ça a été foudroyant. Et puis, c'est que je ne suis pas lasse de toi, Philippe! Nous n'avions pas prévu ce qui s'est passé là. Il t'avait plu d'imaginer qu'un jour je pourrais me lasser de toi, et refaire ma vie avec un autre homme - mais là, il n'en est pas question - et l'idée ne m'est pas venue un instant.
- Quelle est l'idée qui t'es venue alors?
- Mais - aucune. J'ai perdu la tête - quand on perd la tête, il ne vous vient pas d'idée. Philippe, est-ce que tu sais ce que d'être fasciné?
- De faire du ciné?
- Non - d'être fasciné.
- Heu - non.
- Je l'ignorais moi même - et j'en doutais. Oui, je me disais: «C'est faux, on n'est pas fasciné. On est fidèle, ou on ne l'est pas». Eh! Bien, je me trompais: ça existe. Oui, on peut être fasciné. J'en suis la preuve. Cet homme a quelque chose en lui, je ne dis pas: de diabolique...
- Mais - divin!
- Exactement!
- C'est fabuleux.
- Tu en conviens?
- Non, ce qui est fabuleux, en ce moment, c'est toi, c'est ton égarement.
- Mais, je ne suis pas égarée, Philippe, puisque je vois les choses exactement comme elles sont. Dis-moi que je suis franche, ah! Oui, ça, je le suis...
- Voluptueusement. Et ma froideur te navre. Tu me voudrais déchiré de chagrin, mais pervers. En un mot tu es surprise et désolée d'être toute nue dans ce peignoir et de penser que je n'en profite pas - après ce que tu as fait!
- Mais oui, mais oui...
- Comme je suis bête, n'est-ce pas? (...)
- (...) C'est possible - mais toi, il y a quelqu'un qui t'échappe en ce moment: c'est moi! Et je vais t'expliquer pourquoi. Ta nuit passée, maintenant, je la connais. Voici la mienne. Tu serais rentrée à deux heures du matin, tu m'aurais vu très en colère. Tu serai rentrée vers quatre heures, tu m'aurais vu navré. A six heures tu m'aurais trouvé pensif - à sept heures, tu m'aurais réveillé. - Oh!
- Oui - excuse-moi - mais dis-toi bien que si, entre minuit et quart et sept heures du matin on peut faire bien de choses - et tu dois le savoir! - on peut se faire à bien de choses pendant le même temps!...Et, ma fois, je me suis fait à cette idée que tu pouvais m'être infidèle. Je me suis tenu le raisonnement suivant: puisque en ce moment, elle se fait à l'idée de m'être infidèle, je ne veux pas être en reste avec elle!... Alors, moi aussi , je me suis fait à cette idée. Il a dû me falloir un peu plus de temps qu'il ne t'en a fallu à toi. Toi, tu perdais la tête - ça va très vite! - moi, je retrouvais la raison... ça demande quelques heures de plus. Voilà.
- Tu as pleuré?
- Oui.
- Oh!
- Après le coup de téléphone de Claudine, quand j'ai été tranquillisé sur ta santé... quand j'ai su, oui, qu'il ne t'était rien arrivé de mal... au contraire... et que c'était moi seul que le malheur frappait, j'ai pleuré, oui - je ne m'en cache pas, je ne m'en vante pas: je l'avoue. J'ai pleuré - et même j'ai parlé tout haut. Et dans le silence absolu de la nuit, c'est très étrange d'entendre sa propre voix prononcer un prénom de femme...
- Tu as dit mon nom tout haut!
- Heu... non. Non, ce n'est pas ton nom qui m'est venu.
- Comment?
- Et ce qu'il m'est arrivé là est curieux au possible. Figure-toi que ce que tu m'as fait cette nuit m'avait déjà été fait une fois. Oui, c'est le seconde fois que je suis trompé par une femme. Eh! Bien, cette nuit, c'est son nom à elle que j'ai prononcé tout haut!... Sans le vouloir, c'est son prénom qui m'est venu. Entre deux sanglots, j'ai murmuré: Suzanne - et j'ai souri! Oui, je vous ai confondues toutes les deux pendant une seconde. C'est peu de chose, une seconde, mais quand elles sont de cette espèce, les secondes sont capitales. Je vous ai confondues parce que tu me faisais vivre les heures identiques à celles que m'avait fait vivre la personne qui t'avait précédée dans ma vie. Et cette similitude ne diminuait pas la gravité de ta conduite mais elle lui retirait, du moins, toute espèce d'originalité. Tout ce que je suis en droit de te dire, je te l'ai déjà dit. Tout ce que tu peux répondre, je l'ai déjà entendu... (...)