Production : Les Films Minerva.
Scénario et dialogues : Sacha Guitry.
Réalisation : Sacha Guitry.
Chef opérateur : Noël Ramettre.
Décors : Nordès Bartau.
Musiques : Louiguy.

Interprètes :
Sacha Guitry, Fernandel, Lana Marconi, Luce Fabiole, Sophie Mallet, René Génin, André Numès fils, Georges Véber, Jeanne Fusier-Gir.

Durée : 86 mn. Sortie : 20 septembre 1950 à Paris.

L'histoire :
Vieil égoïste, le baron de Saint Rambert vit entouré de ses domestiques qui convoitent son héritage. Mais voici qu'il se prend d'amitié pour Fortuné Richard, un vagabond qui lui a sauvé la vie, au point de vouloir en faire son héritier. Consternation chez les domestiques...



Quelques réflexions de l'auteur:
Le 15 décembre 1949, aux Variétés, c'est la première de la pièce Tu m'as sauvé la vie. Dans le programme, Sacha Guitry fait ses adieux à la critique:
Vieille carne, tu es allée trop loin, c'est ce qui m'a sauvé, et te voilà perdue, car tu as épuisé le peu de crédit qui te restait encore. Tu peux bien désormais dire de moi pis que pendre et déclarer que mes ouvrages sont mauvais, tous ils réussiront, les bons et les mauvais, car tes servants et tes laquais s'étant inutilement acharnés sur bons, c'est en vain qu'ils dénigreraient à présent les mauvais. Le public échaudé, curieux de nature, ne peut plus se fier qu'à lui-même. Et c'est bien fait pour toi. Tu as manqué ton coup. Tu t'étais juré de m'avoir à la résistance. Fais-en ton deuil: j'étais trop gros pour être mangé. Je viens aujourd'hui te faire mes adieux. Tu ne me verras plus qu'en payant, maintenant. Et moi, je ne saurai pas que tu es dans la salle. Or, ton opinion n'ayant pas été sollicitée, si tu commettais l'imprudence de t'attaquer publiquement à mes travaux, cela deviendrait alors de la diffamation. et tu auras sans doute à t'en mordre les doigts:
Article 29 de la loi du 29 juillet 1881...
Ainsi donc: place au public!... Après des infamies dont, finalement, je n'ai pas été victime, c'était très élégant de ma part de t'inviter à mes Premières, de te dire: "juge ma pièce". C'était te demander, en somme d'être honnête. Et tu en as profité pour t'attaquer à ma personne, c'est hideux. Ayant proclamé la nullité de mes pièces, passées, présentes et à venir, tu t'en prends maintenant à mon âge, à ma voix et tu vas jusqu'à me reprocher la forme de mes manchettes. Tu es d'une bassesse inimaginable..."
Critiques anciennes et récentes :
L'acharnement que certains manifestent contre M. Sacha Guitry a quelque chose qui révolte l'homme de bon sens. M. Guitry a le génie du théâtre et il a été heureux pendant trente ans: on lui fait payer ce bonheur et ce génie avec le raffinement de la méchanceté qui est le propre des confraternités littéraires et théâtrales.
La libération date de quatre ans. Ce que M. Guitry a dit, ou fait auparavant, n'est plus en cause. Il a été arrêté, emprisonné. On a ouvert une instruction contre lui. Tout ce qui pouvait le charger a été rapporté plutôt cent fois qu'une. Chaque fois que le juge fermait le dossier, une personne zélée survenait pour lui mettre sous les yeux quelque nouvelle histoire, afin de faire rebondir l'enquête. C'est fini. Qu'on ne me casse pas la tête et les pieds avec des anecdotes qui n'ont plus aucun intérêt et qui n'ont jamais eu très grande importance. L'épuration ne doit pas se transformer en métier, elle ne doit pas être, elle ne peut pas être, le véhicule des querelles personnelles, des antipathies, des rivalités, des haines. Si l'on veut la discréditer entièrement on n'a qu'à persévérer dans le système des persécutions intéressées. M. Guitry ne plaît pas à tout le monde. certains le trouvent insupportable. D'autres l'appellent. "Monsieur Môa" et lui attribuent une fatuité babylonienne. Ils ont un moyen simple de se venger de lui: qu'ils n'aillent pas voir ni ses pièce ni ses films. Mais il faut reconnaître que le public ne partage pas du tout leurs avis.
Pierre Gaxotte, L'intransigeant, 1949.

Structuré par les signes de l'argent, du mensonge et de l'hypocrisie, de la solitude et de la non-communication (illusion de séduction, surdité, prédominance du téléphone), le film reflète les ricanements douloureux de la misanthropie comme art suprême de l'agonie. L'absence du discours utopique-prétexte du Trésor de Cantenac supprime les possibilités de lecture teintée d'humanisme et de condescendance.
L'idée de solitude et de cellule est installée au début du film : un baron vit avec ses domestiques. Ceux-ci attendent sa mort pour toucher l'héritage. Ils considèrent chaque intrusion dans cet espace comme une ménace pouvant annuler leurs espérances. (...)
En ce qui concerne le style, c'est une oeuvre de synthèse qui revisite les trouvailles d' Aux deux colombes et de Toâ sur le terrain du théâtre filmé. (...)
Chaque personnage autour de lui tient un double langage. On ne se comprend qu'entre sourds grâce au téléphone. Dans toutes les pièces Guitry joue de cet accessoire. Certains l'ont accusé d'en faire un procédé. Dans Tu m'as sauvé la vie, le téléphone n'est plus le moyen d'informer ou de séduire : c'est le cordon ombilical qui relie au social : d'abord au visage de la mère (premier acte construit sur l'échange téléphonique entre le Barone et la Comtesse), a celui de la loi (le commissaire de police !), de l'actualité (l'appel aux journalistes) et du masque déchiré (coup de fil de la Comtesse révélant sa coucherie avec le clochard). Quand Guitry coupe le fil du combiné, c'est la preuve d'une décision de rompre avec cette panoplie. Et aussi de rompre avec les tentatives de justification de ses attitudes pendant l'Occupation, autant que de croire encore à l'humanité de ses semblables ou à l'honnêteté de la critique. La profusion du mot « merde » dans le film démontre assez que le temps de la courtoisie est fini. Guitry ne croit plus en rien qui vienne des autres...
Noël Simsolo. Cahiers du cinéma, 1988.