Mon premier mariage.


Entre-temps, j'avais appris que tout homme marié peut obtenir l'autorisation de faire son service militaire dans la ville où il est domicilié - ce à quoi je tenais essentiellement - et aussitôt j'épousai Charlotte Lysès, ma première femme, le 14 août 1907 - artiste délicieuse et d'ailleurs remarquable qui, depuis trois années déjà, était devenue l'interprète choisie de mes pièces. Je me serais marié sans cette raison là, mais je dois avouer que je n'y pensais guère, ou, plus exactement, nous n'y pensions pas. Disons que ce fut un prétexte.
Nous nous sommes mariés à Honfleur, mais nous ne nous sommes pas mariés à la mairie de Honfleur. Non, c'est dans une petite villa normande couverte d'un toît de chaume que cet événement s'est passé.
Mon père habitait à Honfleur, le château de Breuil. Nous étions, à cette époque, encore brouillés lui et moi, et j'avais pensé que son absence à mon mariage eût été trop remarquée.
Voilà pourquoi j'allai voir le maire et lui dis que ma fiancée était un peu souffrante et ne pouvait pas se rendre à la mairie.
Cet aimable homme consentit à se déranger et c'est le plus simplement du monde que la chose s'est faite. On s'est plus d'ailleurs à exagérer cette simplicité et l'on a raconté que nous avions reçu l'officier d'état civil en costume de bain ! Ce n'est pas tout à fait exact. Charlotte Lysès était en robe d'intérieur.
Nos témoins étaient Laurent Tailhade, Marguerite Moreno, Jean Jalbert et Jean d'Aragon.
D'autres amis étaient présents : Alfred Edwards, dont j'aurai l'occasion de parler longuement, Nina Edwards, Marguerite Deval, Lucie Delarue-Mardrus, le docteur Mardrus, Abel Reinheim, Léo Weill, mon frère Jean - d'autres encore - et le mariage se conclut dans une atmosphère d'extrème gaieté.
A la fin du repas, que l'on servit sous les pommiers, Laurent Tailhade prononça un admirable discours.

Sacha Guitry, Le petit carnet rouge. - Textes réunis par Henri Jadoux en 1979 (Librairie Académique Perrin).