MON PÈRE AVAIT RAISON

              


Production : CINEAS (Serge Sandberg) - Distribution : Films Sonores TOBIS
Scénario et dialogues : Sacha Guitry, de la comédie Mon père avait raison..
Réalisation : Sacha Guitry.
Chef opérateur : Georges Benoît.
Décors : Meubles et tableaux appartenant à l'auteur.
Son : Georges Leblond - Musiques : Adolphe Borchard
Directeur de production : Serge Sandberg

Interprètes :
Sacha Guitry, Jacqueline Delubac, Pauline Carton, Betty Daussmond, Paul Bernard, Robert Seller, Serge Grave, Marcel Levesque, Gaston Dubosc.
Durée : 94 mn. Sortie : 27 novembre 1936 au cinéma Colisée - Paris.

L'histoire :
C'est l'histoire d'une dynastie bourgeoise. C'est une forme d'égoïsme qui se transmet de père en fils et qui fait dire à chacun: "Mon père avait raison!". C'est un film qui peut, en une phrase se résumer ainsi: "Il n'est pas étonnant que les enfants ressemblent à leur père, puisque tous les hommes sont pareils." Et l'on peut dire aussi que c'est histoire d'un homme qui a cru comprendre enfin que quand on est malheureux, on ne fait le bonheur de personne. Il lui apparaît que le mot «égoïsme» est en général employé à contre-sens. Être égoïste, à ses yeux, cela signifie: "Rendre heureux ceux qui vous entourent pour jouir du spectacle quotidien de leur bonheur." Les événements lui donnent raison - et il devient tellement heureux que son entourage s'en inquiète, et même, un instant se demande s'il n'est pas devenu fou!
Extrait du dépliant publicitaire, Le cinéma et moi, Ramsay

Extraits des dialogues du film.



Quelques réflexions de l'auteur :
Mon père avait raison! Cette comédie m'aura procuré de bien vives sensations.
D'abord à sa naissance en 1919, puisque pour la première fois, la joie m'était donnée de jouer avec mon père.
Imaginer la pièce, écrire ces trois actes, en pensant constamment à lui et en pensant à nous - et puis un soir, enfin, nous trouver tous les deux l'un en face de l'autre, l'entendre me dire ce que j'avais décidé qu'il me dirait, le voir ainsi se conformer le plus naturellement du monde et avec le plus merveilleux naturel qui soit, à tous mes désirs - impressions profondes, on voudra bien en convenir.
Dire à son père:
- A ce moment-là. tu entreras. Tu voudras bien t'asseoir en disant cette phrase... puis, quand je te dirai ceci, tu sortiras...
Qu'on y pense.
De plus, il jouait mon père - et il était déjà mon père! Nous avons joué longtemps la pièce te souvent il m'a dit combien il devait se surveiller en scène pour ne pas m'appeler par mon propre prénom.
D'ailleurs, au premier acte de cette pièce, il y a deux répliques:
Lorsque Lucien Guitry entrait en scène, je lui disais:
- Bonjour papa.
Il me répondait:
- Est-ce que tu va toujours m'appeler "papa"? Tu ne trouves pas cela un peu ridicule à ton âge? Appelle-moi donc "père".
Or, à partir de cette réplique, de par la volonté de l'auteur, je devais l'appeler "père" - cela ne m'a jamais été possible.
Les années ont passé. J'ai perdu mon père et l'an dernier j'ai repris cette pièce. Mais, question d'âge, j'ai passé mon rôle à Paul Bernard et c'est le rôle de mon père que j'ai joué. Une nouvelle surprise m'attendait. J'avais, dans l'oreille, toutes les inflexions de la voix de mon père et lorsque je parlais, il me semblait l'entendre. Mais, sitôt que je cessais de parler, mon ancien rôle, celui du fils, me revenait à la mémoire - et je devais faire un effort pour laisser parler Paul Bernard.
Vous pensez bien qu'en scène, on n'est pas dans un état tout à fait normal, et ce dédoublement de la personnalité se compliquait singulièrement du fait qu'ayant joué le rôle du fils, je remplissais le rôle du père - que mon père avait justement créé!
Une dernière surprise m'était réservée: le film. Non pas le faire, mais le voir. Oui, me voir à l'écran, m'entendre dans SON rôle. Ma ressemblance avec lui, physique et vocale, ne m'avait jamais à ce point frappé.
(Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de ces mots. Je ne me compare pas à lui - et si je parle de cette ressemblance, c'est parce que je sais combien elle ne peut que le faire regretter davantage.)
D'ailleurs, elle est sans doute bien plus frappante pour moi que pour quiconque. Mais si elle est pour moi frappante, si étrangement hallucinante, qu'avant-hier, aussitôt après la projection, j'ai félicité en ces termes l'opérateur:
- J'aime infiniment l'éclairage des scènes entre mon père et Jacqueline.
Sacha Guitry, Paris Soir du 28/11/1936.

Critiques anciennes et récentes :

On reprochera certainement à cette production de se rapprocher plus du théâtre que du cinéma, mais qu'importe! On rira aux reparties pleines d'esprit que Sacha Guitry, auteur, a mis dans la bouche de Sacha Guitry, acteur
Ce dernier bien entendu a un ton voix qui le fait quelque peu pontifier et certaines scènes auraient gagné à être jouées dans une note moins théâtrale et certaines répliques dites sur un ton moins déclamatoire.
Quoiqu'il en soit, reconnaissons que la pièce qui a obtenu auprès du public un succès bien mérité a donné naissance à un film dont le succès sera aussi certain.
Mises à part les petites remarques que nous avons faites ci-dessus, ce film, bien interprété par des artistes au talent éprouvé, telles Mmes Jacqueline Delubac et Betty Daussmond, tels MM. Guitry et Paul Bernard et même le petit Serge Grave qui joua ici dans la note exacte, sera apprécié par tous les publics.
La mise en scène, simple, et suffisante.
La photo est régulière. Le son est net.
En résumé: un film qu'on aimerait voir pour terminer agréablement une bonne soirée.
Cinaedia, 1936.

Caractère du film: un film de Sacha Guitry est toujours très attendu. Celui-ci est l'adaptation d'une de ses pièces les plus célèbres, une de ses premières, et l'on passe un temps agréable à écouter l'un des plus subtils dialogues qui soient, dit par celui qui l'écrivit et le détaille mieux que personne. Nous ne sommes plus devant un film "cinéma" comme Le Roman d'un tricheur, mais si Mon père avait raison est du théâtre filmé, il est satirique, à l'exemple du Nouveau testament. Peut-être le public trouvera-t-il l'intrigue de Mon père... un peu mince mais il appréciera le divertissement de qualité, la belle langue et le charme des interprètes.
Technique: la technique de Monsieur Guitry est simple pour ce film: peu de déplacements d'appareils quelques plans de liaison, et de plans fixes. La photographie est très bonne et le son excellent.
Interprétation: Sacha Guitry est Sacha Guitry. On ne peut le discuter. Il parle longtemps, souvent, avec cet accent et ce charme qui ne sont qu'à lui. Il a de la fantaisie et de la vivacité. Ses partenaires jouent dans son ombre mais avec personnalité: la délicieuse Jacqueline Delubac, la spirituelle Daussmond, le charmant Paul Bernard et Dubosc qui fait une entrée remarquée. Bonne silhouette de Seller, Pauline Carton et du drolatique Levesque.
La Cinématographie Française, 1936.

Voici une soirée sans prix. Une élégance, un charme et de l'esprit. Une aisance exquise et oubliée. Mille facettes, de l'insolence, de la gaieté, et même une émotion discrète. A quoi doit-on tous ces bonheurs? Au vieux monsieur Sacha Guitry. Vieux? Vous plaisantez! C'est aujourd'hui tout neuf, tout frais, sans une ride. Bon pied, bon oeil, du vif argent.
Mon père avait raison fut crée en 1919. Un père et un fils sur les planches, Lucien et Sacha Guitry, et qui parlent des femmes, de la vie, générations qui s'enchaînent, chacun tendant la main à l'autre, mi-souriante, mi-attendrie, un brin cynique, complicité presque amoureuse. L'autre c'est moi.
Misogyne ? Sans doute. Blessé surtout, et d'une blessure qui touche au coeur. Guitry qu'on croyait perdu échappe ici au temps qui passe, et puis renaît comme moraliste, âpre et dur à la Chamfort, avec des douceurs aussi, comme une pudeur, qui l'aurait cru? Et puis surtout, en se jouant il nous débarbouille de cette guimauve qui empêtre tout aujourd'hui, ce sucre qu'on fait couler sur le sentiment, tout ce poisseux des répliques... Nous voilà libres, propres et frais, et nous marchons dans le petit matin.
C'est nous réconcilier avec la vie, car Guitry l'aime cette vie, sans illusion, sans lâcheté, inconsolable et gai, dirait Molière, avec amitié, et presque allégresse. Tout est acerbe, tout est heureux, tout est léger, même la mélancolie secrète. Et le dialogue, des plus serrés, file si vite, échange parfait, partie de tennis, Borg et Vilas en pleine action, pas une faiblesse, pas un temps mort, art consommé.
Pierre Marcabru, Le Figaro, 1978.

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