QUADRILLE

              


Production : Les Films Modernes (Émile Natan) - Distribution : Les Distributeurs Associés.
Scénario original et dialogues : Sacha Guitry, d'après sa pièce Quadrille..
Réalisation : Sacha Guitry.
Chef opérateur : Jean Le Febvre.
Décors : Jean Perrier.
Son : Antoine Archimbaud. - Musiques : Adolphe Borchard, interprètées par Ray Ventura.

Interprètes :
Sacha Guitry, Jacqueline Delubac, Gaby Morlay, Pauline Carton, Georges Grey, Jacques Vitry, Louis Baldy, Marguerite Templey.
Durée : 92 mn. Sortie : le 25 janvier 1938 au cinéma Marivaux - Paris.
L'histoire : Comédienne célèbre, Paulette Nanteuil est la maîtresse de Philippe de Morannes, rédacteur en chef d'un journal parisien. Philippe songe à lui proposer le mariage, mais Paulette fait connaissance d'un jeune acteur américain, Carl Erikson, elle en tombe amoureuse et passe une nuit avec lui. Philippe, à son tour, succombe aux charmes de Claudine. Le lendemain...

Extraits des dialogues du film.



Quelques réflexions de l'auteur:

Il ne m'a jamais été possible de me raconter à moi-même un sujet d'une pièce pour la raison toute simple que je n'ai aucune des qualités qui font qu'un écrivain est un romancier. Les pièces, les films, cela ne se raconte pas, cela ne s'écrit pas. Je m'explique. Une pièce est un ouvrage littéraire composé de répliques dites par des personnages, et elles sont dictées à l'auteur par des personnages. Nous ne devons pas les leur imposer, car nous risquerions de les faire mentir ou bien nous les empêcherions de mentir à leur aise, ce qui serait aussi grave. Si nous ne voulons pas que nos personnages soient des marionnettes, nous ne devons pas les faire agir avant de les connaître intimement, or, pour bien les connaître, il faut qu'ils soient vivants et tant qu'ils n'auront pas parlé ils n'auront pas vécu.. Une pièce n'est à peine commencé pour moi qu'à la deuxième réplique. (...)
Mais puisque c'est au sujet de Quadrille que vous m'avez questionné, cher Monsieur, je vous dirai bien franchement quel a été l'objet. J'ai imaginé la situation dans laquelle se trouvent les deux personnages principaux de ma pièce au 3me acte, et tout de suite j'ai commencé cette scène.. Je ne connaissais alors que l'état civil de cet homme et de cette femme. A la première réplique son caractère à lui m'était révélé, à la 20ème réplique leur sentiment réciproque m'était connu, vers le milieu de la scène, j'avais deviné ce qui avait pu se passer avant, et au second tiers de la scène je savais comment se terminerait la scène.
Et en somme Quadrille est une scène à deux personnages, précédée de deux actes et prolongée de trois, elle se noue pendant les deux premiers actes, les noeuds sont serrés pendant 25 minutes et elle se dénoue non sans difficulté pendant les trois derniers. Aux cours des six actes, si ma pièce présente quelques surprises, puis-je me permettre de vous dire que j'en ai été le premier surpris?
Sacha Guitry, Cinémonde, 1937.

Critiques anciennes et récentes :

Je regardais les spectateurs du Marivaux (le cinéma), quand la lumière revint après la projection de Quadrille. Il y avait dans leurs yeux, non seulement de la satisfaction, mais aussi une espèce de gratitude émerveillée. Ainsi on pouvait suivre sur l'écran le développement d'une intrigue amusante et avoir droit par-dessus le marché à cette fête perpétuelle du verbe, ballet où s'enlacent, dans des attitudes toujours nouvelles, l'esprit et la satire, l'observation et la fantaisie...
Georges Champaux, 1938.

Le curieux dans Quadrille, c'est qu'il doit tout son succès à ce qui en lui n'est pas cinématographique: aux personnages venus intacts de la scène à l'écran, et à son étincelant dialogue. Cette pièce en dépit de son amertume abonde en reparties extravagantes, que les pauses forcées du film font ressortir encore, et les rires qui secouent la salle à chaque réplique en viennent, tant ils se prolongent, à gêner un spectateur attentif. (...)
La première rencontre de Sacha Guitry et de Gaby Morlay garde à l'écran toute la saveur qu'elle a dispensée sur la scène. Jacqueline Delubac s'accommode avec grâce d'un rôle de second plan, et Georges Grey pourrait prétendre raisonnablement à la vedette dans un film où se déploie Sacha Guitry...
J.L., Le Figaro, 1938. Si l'on établissait des records de vitesse pour une idée portée à l'écran, Sacha Guitry, homme-orchestre, auteur, acteur et metteur en scène sur les planches comme au studio, obtiendrait le Ruban bleu. Voici en effet Quadrille! Cette oeuvre, pensée en juillet, fut rédigée en août, jouée en septembre à la Madeleine, tournée en novembre et projetée au début de février. Il ne manque plus, pour sidérer les masses et consterner ce qui ont le travail lent, qu'à tirer un roman, à le publier sous ce titre et le cycle sera complet.
Je ne vous dirais donc rien de plus sur ce chassé-croisé amoureux, que ce qui a été excellemment écrit ici à propos de la récente générale, puisque cette comédie a été, selon l'usage, photographiée presque intégralement et que ce sont identiques les mêmes interprètes (...)
En conserve, le style Guitry a les mêmes effets qu'au naturel. Pourquoi en serait-il autrement puisque jamais le terme "théâtre filmé" ne c'est mieux appliqué qu'à ce Quadrille cinématographique?
Gilbert Bernard, Le Matin, 1938.

Ce film éblouissant semble améliorer encore une pièce si fertile de rebondissements qu'elle étouffait la scène, en son décor unique. Les personnages de Philippe et Claudine notamment, saisis dans leur vie quotidienne et dans leur propre intérieur, gagnent en vérité. Sacha, qui possède au plus haut degré l'art de faire passer un soupçon de souffrance dans la gaieté la plus exubérante, comme acteur aussi bien que comme auteur, est au-dessus de tout superlatif. Gaby Morlay, irrésistible, sensationnelle, est une telle technicienne que tous ses petits trucs semblent témoigner de la plus fraîche spontanéité. Pauline Carton est toujours parfaite. Jacqueline, qui n'a pas tout à fait leur personnalité, est vraiment séduisante et elle a gagné beaucoup d'autorité. Seul Georges Grey, presque caricatural, rompt le charme de ce qui aurait dû être un quator unique au monde.
Jacques Lorcey, Sacha Guitry - PAC, 1985.