DONNE-MOI TES YEUX

              



Production : C.I.M.E.P. Moulins d'Or. - Distribution : U.F.P.C.
Scénario original et dialogues : Sacha Guitry.
Réalisation : Sacha Guitry.
Chef opérateur : Fédor Bourgassof.
Directeur de production : Marcel Rischmann.
Décors : Henri Menessier.
Son : René Lécuyer. - Montage : Alice Dumas. - Musiques : Henry Verdun.

Interprètes:
Sacha Guitry, Geneviève Guitry, Mona Goya, Aimé Clairond, Frédéric Duvallès, Jeanne Fusier-Gir, Marguerite Pierry, Marguerite Moreno, Georges Marny, Mila Parély, Pasquali, Maurice Teynac, Solange Varennes, Betty Stockfeld, Jacques Butin, Eugène Compain, Henri Chauvet, Richard Francoeur, Jean-Louis Allibert, René Fauchois, Raymond Narlay, Léon Walther, Mariemma, Hélène Dartigues.
Avec les peintres : Dunoyer de Segonzac, Othon Friesz, Derain, Dufy, Touchagues, Vlaminck, Utrillo, Brianchon de Varotier, Lhote, Dignimont, Arnoux, le sculpteur Yencesse et les toiles de Pissarro, Cézanne, Corot, Manet, Sisley, Auguste Renoir.

Durée : 90 mn. Sortie : le 24 novembre 1943 au cinéma Le Biarritz. - Paris.

L'histoire :
François, un sculpteur, propose à un de ses modèles, Catherine, de l'épouser. Elle accepte. Mais brusquement l'attitude de François change, il devient aigre et cassant. A la suite d'une scène, c'est la rupture... Mais Catherine découvre que François devient aveugle...

Extraits des dialogues du film.



Quelques réflexions de l'auteur :
Au début de ce film je montrais l'intérieur du Palais de Tokyo à la veille d'un vernissage - et l'une des trois salles était consacrée à la rétrospective supposée des chefs-d'oeuvre de la peinture française réalisés entre 1870 et 1871.
J'avais fait agrandir les photographies d'une vingtaine de tableaux célèbres : le Balcon de Manet, la Vague de Courbet, la Loge de Renoir, une Marine de Monet - et, mises à leurs dimensions réelles, l'effet était saisissant.
Quant au texte, il était propre à renforcer encore l'espérance des nôtres - et il était de nature à prouver aux Allemands que rien ne peut abattre le Génie de la France.
Voici ce texte.
Je m'adressais à l'un de mes amis - et je lui disais :
Admire ces splendeurs !... Voilà ce que faisaient des hommes de génie à l'heure où la France venait de perdre la guerre. Et devant ces merveilles, n'a-t-on pas l'impression que ce que l'on perdait d'un côté, on le regagnait de l'autre? Car on a bien le droit de considérer que des oeuvres pareilles, cela tient lieu de victoires. Passons maintenant dans la salle voisine. Vois donc : Matisse, Bonnard, Dunoyer de Segonzac, Othon Friez, Maillol, Utrillo, Vlaminck, Despiau, Touchagues, Brianchon - la France continue !

Je signale deux incidents qui se produisirent au cours du « tournage » du film.
Un jour, ayant rencontré, rue François-Ier mon ami Marcel Simon - qui portait l'étoile jaune - je le priai de m'accompagner jusqu'au Studio.
Nous nous assîmes tous les deux dans le décor - et bientôt je donnai l'ordre de commencer à tourner.
Je m'aperçus alors qu'un grand trouble agitait les personnes présentes : ouvriers et techniciens se consultaient à voix basse - et l'ordre que j'avais donné ne s'exécutait pas.
Le directeur de la production, informé de la présence d'une « étoile-jaune » parmi nous, me fît part des dangers auxquels j'exposais tout le monde - tout ce monde, d'ailleurs, qui se refusait à « embrayer », comme il disait, dans de pareilles conditions.
Marcel Simon s'en rendit compte.
Il se leva.
Je prétextai des courses à faire - et, remettant à plus tard ce jour-là « l'embrayage », nous allâmes tous deux déambuler dehors.
Je regretterai toujours de n'avoir pas eu la possibilité de courir jusqu'au bout ce risque révoltant.

A quelques jours de là, ceci se produisit.
Je jouais, dans mon film, le rôle d'un sculpteur - et je devais dire à mon modèle :
- Je vais d'abord vous faire en terre glaise.
Or, on tournait et j'ai préféré dire :
- Je vais d'abord vous faire en glaise.
L'ayant dit, j'insistai :
- Ça vous plairait, hein, d'être en - glaise ?
Et, voyant s'arrondir les yeux du producteur, j'ai ajouté :
- Pourvu que la censure ne me coupe pas ça !
Un véritable cri d'épouvante interrompit la scène.
- Coupez ! coupez !
Pris de panique il supplia :
- Oh ! Ne dites pas ça, Monsieur Guitry, c'est effrayant !
A moins qu'il n'ait détruit ce court passage « terrifiant » - il doit exister encore, puisqu'il fut enregistré.

Sacha Guitry, Quatre ans d'occupations, Éditions de l'Élan, 1947.